L’éolien, autre indicateur de la fracture des territoires

Par Michel Negynas.
Un article du jour­nal Le Monde du 25 février titrait : « Municipales 2020 : l’opposition aux éoliennes, ces « ven­ti­la­teurs pour­ris », pousse à faire de la poli­tique dans les Pyrénées-Orientales »
Le gou­ver­ne­ment est déci­dé à adop­ter sa pro­gram­ma­tion de l’Énergie, qui vise à copier l’Allemagne : mul­ti­plier par 5 le solaire et par 3 l’éolien, pour arri­ver à 85 GW d’énergie inter­mit­tente. Tous les experts et ins­ti­tuts spé­cia­li­sés dans l’énergie ont sou­li­gné l’incohérence du pro­jet, puisque la presque tota­li­té des finances consa­crées à la tran­si­tion éner­gé­tique ser­vi­ra à décar­bo­ner une élec­tri­ci­té qui l’est déjà.Les coûts sont fara­mi­neux. Et dans le cas de l’éolien, les nui­sances sont concen­trées sur les par­ties délais­sées du ter­ri­toire, un symp­tôme de plus de la frac­ture de la France.
La ques­tion se pose d’abord de savoir com­bien ça coûte, et com­bien ça rapporte.
Combien ça coûte ? C’est assez dif­fi­cile à cal­cu­ler. Il y a les coûts pas­sés, les coûts à venir, et les coûts indirects.
Les coûts directs
En mars 2018, et pour la deuxième fois, la Cour des comptes aler­tait sur l’incohérence du sou­tien aux éner­gies renou­ve­lables, dont l’éolien. Pour le solaire, c’est encore pire mais cela n’excuse rien. Déjà en 2013, elle avait remar­qué que l’essentiel des cré­dits pour la tran­si­tion éner­gé­tique ser­vait à décar­bo­ner une élec­tri­ci­té qui l’était déjà.En outre, la Cour des comptes note une opa­ci­té inac­cep­table sur les coûts :
« Sur le plan bud­gé­taire, la récente réforme de la contri­bu­tion au ser­vice public de l’électricité (CSPE) et la créa­tion en 2015 du compte d’affectation spé­ciale (CAS) Transition Énergétique ont per­mis de don­ner une visi­bi­li­té annuelle à un dis­po­si­tif qui avait pros­pé­ré de manière extra-​budgétaire. Toutefois, l’existence du CAS consti­tue un pro­grès insuf­fi­sant car il ne per­met pas de faire appa­raître l’ensemble des coûts que devront sup­por­ter à long terme les finances publiques au titre des enga­ge­ments contrac­tés. L’architecture bud­gé­taire actuelle ne per­met en effet au Parlement ni de se pro­non­cer sur les nou­veaux enga­ge­ments, ni d’apprécier la dyna­mique conso­li­dée d’évolution des charges du fait des enga­ge­ments pas­sés ou nou­veaux. Le Parlement devrait donc être mieux asso­cié à la défi­ni­tion des objec­tifs de déve­lop­pe­ment des EnR et des volumes finan­ciers de sou­tien aux EnR. »
La Cour des comptes a fait une esti­ma­tion des dépenses à venir et déjà enga­gées. Nous sommes sur un rythme de trois mil­liards par an pour le seul éolien. Et la Cour de remar­quer :« Les impacts du mix rete­nu par la PPE en termes de besoin de sou­tien ne se limi­te­ront pas aux cinq pro­chaines années : les sou­tiens enga­gés aujourd’hui auront des réper­cus­sions sur les finances publiques pen­dant au moins 20 ans. Il semble dès lors néces­saire d’étendre l’exercice de pro­jec­tion finan­cière à des hori­zons beau­coup plus loin­tains que celui de la PPE (2023). Ces pro­jec­tions per­met­traient de réa­li­ser des arbi­trages éner­gé­tiques qui tiennent véri­ta­ble­ment compte de la contrainte durable de moyens pesant sur les finances publiques. »
On voit sur ce gra­phique que le sou­tien à l’éolien nous a déjà coû­té vir­tuel­le­ment 13 mil­liards d’euros depuis 2016 ; or on a pré­vu de tri­pler la capacité !
Si on consi­dère l’ensemble des enga­ge­ments pas­sés jusqu’à la fin des contrats, la Cour des comptes les éva­lue à 120 mil­liards pour l’ensemble des éner­gies renou­ve­lables, dont pro­ba­ble­ment une qua­ran­taine pour l’éolien.

Mais elle relève sur­tout un manque de visi­bi­li­té pour les coûts à venir.
Pour l’ensemble des ENR, on pour­rait les éva­luer à 5 mil­liards par an au moins jusqu’à 2030, dont deux mil­liards pour l’éolien à capa­ci­té ins­tal­lée constante. Soit 15 mil­liards par an à l’objectif 2030. L’éolien se situe­ra entre 30 % et 50 % de ce total. Cet objec­tif est com­pa­rable à la situa­tion alle­mande actuelle : l’Allemagne estime son sou­tien à 25 mil­liards par an pour l’ensemble des ENR. Le chiffre de 15 mil­liards est donc plausible,
Une autre approche consiste à exa­mi­ner les taxes de sou­tien aux ENR par KWh : de un cen­time en 2016, elles sont pré­vues à 1,8 cen­time en 2023 ; en Allemagne, que nous vou­lons copier, elles sont de 4,5 cen­times par KWh.
On peut aus­si éva­luer l’investissement total de l’objectif à 2035, soit 45 GW d’éoliennes, à 1,5 mil­lions d’euros du MW. Cela fait 67 mil­liards… il faut bien que quelqu’un les paye. Le pro­blème c’est qu’une éolienne est pré­vue pour durer 25 ans… en 2025, il fau­dra déjà rem­pla­cer les plus anciennes. Ce sera repar­ti pour un tour…
On pour­rait objec­ter que le mode de sub­ven­tion a chan­gé : qu’en sera-​t-​il des contrats futurs, compte tenu des nou­velles règles de sub­ven­tion et de la baisse des coûts ?
La Cour des comptes n’est guère opti­miste, car elle sou­ligne l’impossibilité de pré­voir les sub­ven­tions futures, qui sont cal­cu­lées par la dif­fé­rence entre un coût de pro­duc­tion esti­mé et le prix de gros du mar­ché. Or, on constate aisé­ment ces der­nières années que l’apport des ENR inter­mit­tentes fait bais­ser les prix de gros ! Plus on en ins­tal­le­ra, plus elles seront subventionnées !
Les coûts indirects
Mais il y a aus­si des coûts cachés.
En effet, les coûts d’adaptation aux ENR sont payés par l’ensemble de la filiale EDF char­gée du réseau, RTE, sans qu’ils soient dif­fé­ren­ciés. Ils sont divers : il y a d’abord les rac­cor­de­ments au réseau moyenne et haute ten­sion. À titre d’exemple, le champ éolien de Dunkerque néces­site un inves­tis­se­ment de 250 mil­lions d’euros, 20 % de l’investissement total !
Il faut aus­si pré­voir des équi­pe­ments spé­ciaux pour sta­bi­li­ser le réseau, car aus­si bien le solaire que l’éolien en sont incapables.
Toujours d’après la Cour des comptes :
« L’Agence de l’énergie nucléaire de l’OCDE esti­mait ain­si en 2012 que, pour la France, le coût pour le sys­tème élec­trique de la péné­tra­tion des EnR à hau­teur de 30 % du mix de pro­duc­tion pour­rait se situer dans une four­chette de 13 à 18 euros /​MWh. »
Mais ce n’est pas tout. L’obligation d’achat de tout KWh pro­duit par les ENR entraîne la baisse du chiffre d’affaire des autres cen­trales. La consé­quence pour elles est une perte de ren­ta­bi­li­té. Les inves­tis­seurs s’en détournent. Or, on a besoin de ces équi­pe­ments les nuits d’hiver sans vent. On va donc les sub­ven­tion­ner elles aus­si, en leur per­met­tant de « vendre des capa­ci­tés garan­ties » aux ENR aléatoires.
Combien ça rap­porte, c’est facile à cal­cu­ler : qua­si­ment rien
En France, juste un peu d’économie de com­bus­tible nucléaire, et encore. Dans une cen­trale nucléaire, l’usure du com­bus­tible est fonc­tion autant de la durée d’utilisation que de la quan­ti­té d’énergie pro­duite. Et la part du com­bus­tible dans les coûts est très faible.
Et ces ENR ne pro­duisent pas grand-​chose : les 15 GW ins­tal­lés ont pro­duit 7 % de l’électricité en France, alors que le réseau a obli­ga­tion d’acheter cette élec­tri­ci­té quand bien même il n’en n’a pas besoin.
Les deux argu­ments géné­ra­le­ment avan­cés pour jus­ti­fier cette folie sont le foi­son­ne­ment et le stockage.
L’idée du foi­son­ne­ment est que si on dis­pose judi­cieu­se­ment les pro­duc­tions d’ENR sur le ter­ri­toire, il y aura tou­jours du soleil et du vent quelque part. C’est faux, tout un cha­cun peut le consta­ter en consul­tant eCO2 mix, le site de sui­vi en temps réel de RTE, ou Energy Charts, le site alle­mand. Sur un ensemble de 150 mil­lions d’habitants cou­vrant de la Baltique à la Méditerranée, il y a des jours, par­fois des semaines, avec très peu de vent.
Pour ces jours-​là, il faut construire un réseau de cen­trales pilo­tables à la demande. C’est celui-​là qui est indis­pen­sable, les ENR aléa­toires n’étant en fait qu’un surin­ves­tis­se­ment. Et dans le cas de la France, il ne rap­porte qua­si­ment rien, ni sur le plan finan­cier, ni sur le plan climatique.
Si un jour on sait sto­cker l’électricité à hau­teur des quan­ti­tés énormes néces­saires, ce qui n’est abso­lu­ment pas le cas actuel­le­ment, eh bien… il fau­dra payer ces installations !
Une bombe à retardement
Nous avons eu droit récem­ment à quelques « signaux faibles » sur l’éolien de la part du gouvernement.
À Pau, en jan­vier, le Président Macron :
« Soyons lucides : la capa­ci­té à déve­lop­per mas­si­ve­ment l’éolien ter­restre est réduite. » Il a ajou­té que « le consen­sus sur l’éolien est en train de net­te­ment s’affaiblir dans notre pays » et esti­mé que « on ne peut pas impo­ser l’éolien d’en haut. »
Mme Borne, ministre de l’Écologie et de la Transition éner­gé­tique, a décla­ré quant à elle :
« C’est vrai­ment un énorme sujet, je l’ai dit aux acteurs de la filière. Il y a des empla­ce­ments de parcs éoliens en covi­si­bi­li­té avec des monu­ments his­to­riques. Je ne com­prends même pas com­ment on a pu arri­ver à ces situa­tions. On a des ter­ri­toires dans les­quels on a une dis­per­sion de petits parcs de taille et de forme variable qui donnent une satu­ra­tion visuelle, voire une situa­tion d’encerclement autour de cer­tains bourgs qui est abso­lu­ment insupportable. »
Le gou­ver­ne­ment voit mon­ter la contes­ta­tion et prend peur. Il ne vou­drait pas faire face à des gilets cou­leur de vent, comme il a du faire face à des Gilets jaunes levés contre la taxe carbone.
Les deux sujets ont un point com­mun : ils sont plé­bis­ci­tés par les urbains éco­los au détri­ment des oubliés des ter­ri­toires. Il n’y a pas d’éoliennes dans la ban­lieue des grandes villes. Les cam­pagnes déser­tées en sont truf­fées, et pas­ser de 8000 à 15 000 mou­lins implique d’attaquer des régions plus com­ba­tives car plus peu­plées et plus prospères.
Ainsi, le vent pour­rait bien s’inviter dans les élec­tions muni­ci­pales. Pas à Paris bien sûr, ni dans les métro­poles. Mais là où les maires sont démar­chés par les ven­deurs de vent : dans les petites com­munes écra­sées par les charges. C’est dif­fi­cile pour eux de résis­ter à la pers­pec­tive de quelques dizaines de mil­liers d’euros de redevance…
Le pro­blème est que le pac­tole est sur une com­mune, la nui­sance sur toutes les com­munes à l’horizon, par­fois dans un rayon de vingt kilo­mètres… perte d’attrait tou­ris­tique, déva­lo­ri­sa­tion des habi­ta­tions… Une source de conflits poten­tiels, et des retours de flamme en pers­pec­tive pour la com­mune accueillante, lorsque, plus tard, les sub­ven­tions étant taries, le ven­deur de vent en faillite, elle aura le déman­tè­le­ment sur les bras.
Mme Borne se plaint d’une répar­ti­tion inégale sur la France. Elle oublie peut-​être qu’on ins­talle des éoliennes là où il y a du vent… Mieux les répar­tir implique d’aller sur des ter­rains moins ven­tés, ce qui fera encore bais­ser la capa­ci­té équi­va­lente des engins, qui n’est déjà pas fameuse : de l’ordre de 22 %, à com­pa­rer au taux de charge acces­sible à une cen­trale ther­mique, de plus de 80 %.
L’ironie est que ce sont les der­niers gou­ver­ne­ments suc­ces­sifs qui ont amoin­dri, une à une, les contraintes à res­pec­ter pour construire des éoliennes. À ce jour, il est plus facile, admi­nis­tra­ti­ve­ment, de construire un parc éolien de cinq engins de 170 mètres de haut que de bâtir un lieu de sto­ckage pour appa­reils électroménagers.
De mul­tiples péti­tions cir­culent contre cette folie.
Celle-​ci est signée par, entre autres, Bérénice Levet, phi­lo­sophe, Alain Finkielkraut, phi­lo­sophe, Stéphane Bern, ani­ma­teur télé­vi­sion et radio, écri­vain, Jean-​Pierre Le Goff, socio­logue… Lorsque les fai­seurs d’opinion média­tiques s’en mêlent, ça sent le roussi.
L’éolien en mer est tout aus­si cri­ti­qué : même au large, il se voit de loin. Et qui­conque a eu un bateau connaît la lutte sans fin qu’il faut mener contre la corrosion.
Bref, à part les bobos des grandes villes, et les maires des com­munes d’implantation, qui sont d’ailleurs par­fois pro­prié­taires des ter­rains rece­vant les loyers, per­sonne n’en veut.
Que ce soit loca­le­ment pour les nui­sances, ou natio­na­le­ment, lorsque on annon­ce­ra aux citoyens qu’il faut quand même renou­ve­ler le parc nucléaire, la Programmation plu­ri­an­nuelle de l’énergie est une bombe finan­cière, sociale et poli­tique à retar­de­ment. Il est temps de la désamorcer.
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